Maintenant, le quai paraît désert.
Il vente. Dans l’ombre du grand
paquebot, les marins et les débardeurs s’affairent encore. Non loin du petit garçon, un pompon rouge,
son béret à la main, conte fleurette à une passante. Depuis l’instant où on lui a dit d’attendre
ici, depuis qu’il se trouve ici, debout près de la longue boîte de bois, la
foule s’est dispersée. Il a vu se
retrouver les êtres chers, entendu les cris de joie de ceux qui se croyaient
perdus, les bouches s’ouvrant sur les mots qui réchauffent. Plus personne n’attend autour de lui. Il frissonne, tout seul, debout près de la
longue boîte de bois.
— Henri !
Il sursaute. Se tourne. Une femme grande, mince et sèche, sévèrement
engoncée dans un long manteau de laine, vient vers lui. Tante Marie-Louise. Ce doit être tante Marie-Louise. Elle saisit son menton et l’examine.
— Bon.
Au moins, tu n’es pas trop malpropre et tu n’as pas l’air malade. Où est ton bagage ?
L’enfant fait un geste pour montrer le sac de tapisserie qu’il tient à
la main et qui contient tout ce qu’il possède : un vieux lapin de chiffon,
deux mouchoirs, une chemise de nuit et le portrait à l’huile d’une jeune
femme. Puis il pose son autre main sur
la longue boîte de bois.
— Qu’est-ce que… Oh.
Bon. Viens, on enverra quelqu’un
chercher ça. Mais viens donc !
Le petit garçon ne bouge pas. Il
ne veut pas venir avec cette femme rêche.
Il veut rester ici, avec la longue boîte de bois. Il voudrait retourner sur le grand bateau,
retourner chez lui, retourner avant. De
ses yeux bleus coulent des larmes de défi.
La femme s’impatiente.
— Henri, sois raisonnable. On n’a pas toute la journée. Allez, on gèle, grouille.
Pour toute réponse, l’enfant se colle contre la longue boîte de
bois. Le froid et la frayeur le font
grelotter.
— Ça suffit, mon bonhomme, elle est
morte ta mère, ça la ramènera pas tes simagrées, quand même que tu rentrerais
dans le cercueil avec elle. Viens-t’en,
on va envoyer quelqu’un le chercher.
La femme le prend par le bras, tire, grogne. Le petit garçon s’accroche au cercueil de sa
mère, au souvenir de sa mère dont les traits se rappellent vaguement sur le
visage de sa tante, mais comme desséchés par l’amertume. Sanglotant, il finit par se laisser arracher
de la longue boîte de bois. Il va vers la Haute-Ville avec l’inconnue qui
le traîne par une main tandis que, de l’autre, il tient son petit sac de
tapisserie de toutes ses forces, en ravalant ses larmes.
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