jeudi 27 mars 2014

Moteskano














Mon pays rêve d'un autre corps
Et ses cheveux s'en vont au Nord
Creuser sillons dans la toundra
Mon coeur tambour entend ses pas
Qui marquent trace dans la mousse
Moteskano moteskano
Je te suivrai jusqu'à ma mort
Tu es la veine où court mon sang
D'Indienne
Tu es la ride sur la peau de ma mère
Tu es sur la Terre là où
Je marche
Tu es
Nitaskinan tu es
Ce que je suis

mercredi 26 mars 2014

Mot détesté, mot préféré


        













Norme

          Faites l’anagramme et vous aurez tout compris : morne.
          On peut poursuivre le jeu et construire un champ lexical à l’avenant : morve, mort, mordre, ordre, tout cela est tellement gris et froid.
        C’est un mot de novembre et de crachin, un mot sous lequel toutes formes deviennent indistinctes, toutes couleurs ternes, toute musique atone.
        Que pouvons-nous attendre de la norme? Que tout soit arasé, poli, uniforme, standard. Ce mot exclut couleur, fantaisie, spontanéité, fraîcheur, joie. Chargé de menaces, il regarde d’un oeil torve quiconque n’observe pas ses prescriptions. Il vous condamne à la rectitude à perpète. Correspondez, c’est un ordre! Ne pensez pas, nous le faisons pour vous, la norme s’en occupe. Si vous êtes dans les normes, rien ne vous arrivera de fâcheux, c’est promis.
           Il n’y a nulle part où vivre dans ce mot. Si je le dessinais, il prendrait la forme d’un tombeau. Il y fait froid et sombre. Il est le cimetière des rêves flétris d’enfants hors norme à qui l’on a dit qu’ils n’avaient pas le droit de rêver. Y sont ensevelis aussi des rires éteints, des surprises dégonflées, des élans coupés, des chansons tues, des baisers retenus, des désirs avortés. La norme est un désert. Une prison déguisée en dispositif de sécurité. Un piège soporifique pour inquiets chroniques.
   Vivons. Osons. Faisons-la éclater. Peut-être alors l’a-norme deviendra-t-il la norme.


           
Sauvage


Il vient de la forêt et sent bon l’humus, ce mot. Du latin sylva, il a donné quelques prénoms et un ou deux métiers. À moi, il donne envie de respirer les parfums de la terre, de rester debout dans la tempête, d’écouter le grand silence blanc de la boréalie, où j’habite.
Sauvage, c’est le nom que l’on donnait autrefois aux gens qui vivaient près de la nature. Dans mon pays, on racontait aux petits enfants que c’étaient eux, les Sauvages, qui apportaient les bébés. On disait aussi des Français qui vivaient avec eux qu’ils finissaient tous par « s’ensauvager ». Beaucoup de légendes, beaucoup de contes à faire rêver d’aventures forestières les plus casaniers. Et tellement, tellement de mensonges que, désignant leurs descendants, le nom a fini par prendre une connotation péjorative. Ils préfèrent maintenant qu’on les appelle Innus, Atikamekw, Cris, Malécites, Micmacs, Anishinabes, Inuk, Naskapis, Mohawks, Wendats ou Abénakis. Ils ont donné à ma langue des mots pour nommer des objets, des réalités, des lieux qui n’existent pas ailleurs qu’ici. Malmenés par l’histoire, ils demeurent debout sur cette terre dont ils sont pétris, mais où mes ancêtres à moi, eux aussi, sont enterrés. Je suis, moi aussi, envers et contre tous, une sauvagesse.
Sauvage. Se dit de ce qui vit en liberté, n’est pas apprivoisé, n’a pas été touché par la main humaine. Ce mot superbe, ce mot rouge, ce mot de lumière échevelée, il me raconte ma propre indomptabilité, cette force en moi qui pousse et tonne parfois, et qui fait jaillir des histoires sur l’écran de mon ordinateur. C’est tout ce qui est en nous puissant et beau, et générateur de création. C’est Éros.
Sauvage. C’est ce qui existe en-dehors de soi, ce que l’on ne peut contrôler, cette force incroyable et puissante qui participe de chaque être humain sur la Terre. C’est l’émerveillement devant le cycle universel et sacré de la vie, quelle qu’en soit la forme.
Sauvage. C’est ainsi que je voudrais vivre et mourir, ensauvagée, aux pieds des arbres parfumés de la grande forêt, et pas trop loin de la mer qui m’a toujours souri.



            

lundi 24 mars 2014

La Confiture de rêves



Chapitre 1


Ragoût de limaces et mauvais rêves

Il était une fois, dans un pays pas si lointain, un château avec un roi dedans et un village à côté.  Le roi, personne ne le voyait jamais, mais on ne s’en faisait pas trop avec cela puisque tout, absolument tout, dans ce royaume, était parfaitement ordonné.  C’est vrai, comme je vous le dis : jamais personne ne faisait de mauvais coup, pas le moindre petit voyou pour jouer des tours aux voisins grincheux, pas de malcommodes qui réveillaient tout le monde en pleine nuit en chantant trop fort, rien.  Pas de surprises non plus, vous devinez bien, jamais de surprises, ni bonnes ni mauvaises : tout était toujours prévu.  Ainsi dans le petit village dont je vous parle, chacun vaquait à ses occupations quotidiennes sans s’inquiéter des imprévus.  Tous les villageois menaient une vie, ma foi, réglée comme du papier à musique.
Aux abords de ce village, dans une petite maison blanche toute pareille aux autres, habitait incognito une très, très-très-très-très, très, très Vilaine Sorcière.  Personne ne savait que c’était une Vilaine Sorcière, car elle essayait de passer inaperçue et de vivre comme tout le monde avec son vieux matou jaune qui s’appelait Jaunisse.  Tout le monde avait un animal domestique : on avait droit à un chat, un oiseau ou un hamster, mais surtout pas à un chien parce que ça aboie et que ça peut déranger les voisins.  Cette Vilaine Sorcière, donc, ne voulait surtout pas qu’on l’attrape et qu’on lui apprenne les Bonnes Manières !  Alors, elle allait faire ses commissions à l’épicerie du village à onze heures le jeudi matin, comme tout le monde, et se faisait du pâté chinois le vendredi, comme tout le monde, au lieu d’utiliser son grand chaudron pour cuisiner de la soupe aux yeux de zombie ou du ragoût de limaces aux pissenlits.  Hmmmm ! du ragoût de limaces aux pissenlits !  Quand elle était petite, c’était son plat préféré.  Mais maintenant, il ne fallait plus y songer.  Elle voulait tant avoir l’air d’une personne ordinaire qu’elle chantait même dans la chorale des Super Grand-Mamans, comme toutes les vieilles dames du village, le samedi après-midi.
Sauf que c’était peine perdue.  On est une Vilaine Sorcière ou on ne l’est pas !  Son pâté chinois contenait tellement d’oignons et de poivre que cela lui donnait une haleine épouvantable, d’autant plus qu’elle ne se brossait jamais les dents, qu’elle avait toutes sales et cariées ! Pouah !  Quand elle faisait semblant de sourire, c’était vraiment atroce.  En fait, elle ne se lavait jamais tout court, et elle sentait terriblement mauvais, surtout des pieds.  Et je ne parle pas de sa présence dans la chorale des Super Grand-Mamans !  Une véritable catastrophe !  On l’avait placée en avant pour que sa détestable haleine ne gêne pas les autres chanteuses.  Mais évidemment, elle était incapable de chanter juste.  Alors, quand elle entonnait, de ce qu’elle pensait être sa plus belle voix: « Au clair de la lune, mon ami Pierrot », le public se bouchait les oreilles et se retenait pour ne pas se sauver en courant.  Et ce n’était pas le pire.  Vous ne l’avez pas vue !  Imaginez quelqu’un qui aurait l’air d’une grand-maman à l’envers, une vieille bonne femme avec la peau toute jaune, un long nez pointu et poilu, des grands pieds tordus, des vieux doigts crochus, rajoutez la mauvaise odeur et la voix de fausset, et vous avez le portrait de celle dont les gens du village n’osaient jamais s’approcher à moins de dix mètres.  Mais ça ne les empêchait pas de rire souvent d’elle et de son vieux matou rabougri ; cela la mettait dans de telles colères !  Oh, la, la !  Une chance que les gens ne savaient pas qui elle était vraiment, car alors ils auraient eu terriblement peur.  Une Vilaine Sorcière, pensez-vous !  Tout le monde les craignait, elles étaient tellement imprévisibles et désordonnées !  Mais puisqu’ils ignoraient sa véritable identité, les gens du village ne se privaient pas de rire d’elle.  Ce qu’ils trouvaient le plus drôle, c’était son nom.  Est-ce que je vous ai dit son nom ?
Non ?
Elle s’appelait Grosspafine.  Oui, bien sûr, vous aussi cela vous fait rire.  Mais lorsqu’elle était une petite fille Vilaine Sorcière et qu’elle vivait dans la Forêt avec ses parents, le Vilain Sorcier Pouftupu et la Vilaine Sorcière Crottdenée, ce nom ne faisait rire personne : tout le monde dans la famille avait un prénom de ce genre-là.  Et en plus, pour une jeune Vilaine Sorcière, se faire appeler « grosse pas fine », c’était tout un compliment !  Parce que ses parents étaient horriblement fiers d’elle.  « Oh !  Regarde comme elle est affreuse ! » roucoulaient-ils tendrement en la regardant faire ses jolies polissonneries.  Alors, pour leur plaire, elle faisait des grimaces encore plus dégoûtantes, se décrottait le nez en public, disait des gros mots, faisait pipi dans les coins...  Jamais des parents Vilaines Sorcières n’avaient été aussi fiers de leur enfant.
Mais un jour, les chevaliers du roi, accompagnés d’une ou deux Bonnes Fées, attrapèrent ses parents Pouftupu et Crottdenée, son petit frère Ptitrognon et son grand-père Grôpette, et les envoyèrent se faire montrer les Bonnes Manières à l’École des Bonnes Manières (justement).  Or, ce jour-là, au moment où sa famille se faisait enlever, Grosspafine était en train de cueillir des champignons vénéneux pour parfumer l’omelette aux œufs de dragon prévue pour le souper.  Les chevaliers du roi étaient donc repartis sans se rendre compte qu’ils n’avaient pas attrapé toute la maisonnée.  Alors, quand elle revint à la maison, elle ne trouva personne, évidemment.  La porte était fermée à clef, et l’on avait cloué dessus une feuille de papier sur laquelle on pouvait lire ceci :
« Oyez !  Oyez !  La famille de Vilaines Sorcières qui vivait ici a été envoyée apprendre les Bonnes Manières à l’école des Bonnes Manières.  Ils seront de retour dans quelques semaines, tout à fait guéris, et les gens du comté n’auront plus à vivre dans la crainte de les voir faire des choses IMPRÉVISIBLES. »
Grosspafine ne savait pas encore lire à ce moment-là, mais elle devina ce qui s’était passé, parce que son grand nez poilu était capable de sentir l’odeur des chevaliers du roi, et surtout celle des Bonnes Fées, qu’elle détestait et dont elle avait très peur, parce que des histoires horribles circulaient à leur propos parmi les Vilaines Sorcières.
Alors, elle se mit en colère et tapa du pied en grognant, mais cela ne fit pas revenir sa famille.
Elle cria des gros mots jusqu’au ciel, mais cela ne fit pas revenir sa famille. 
Elle jeta un mauvais sort sur le château, mais cela ne réussit qu’à faire pousser du poil entre les orteils des serviteurs du roi, et cela ne fit pas revenir sa famille.
— Tant pis, se dit-elle.  Je resterai toute seule.  Et il n’est pas question que je me fasse attraper et montrer les Bonnes Manières.  Alors je vais partir d’ici !
Et c’est ainsi qu’elle vint habiter au village avec Jaunisse, et elle y vécut tranquillement durant plusieurs années en cachant sa véritable identité.  Le fait qu’elle vive toute seule, étant enfant, n’alarma personne outre mesure puisqu’elle faisait croire que sa mère-grand très malade habitait avec elle.  Elle grandit donc en paix et alla même à l’école avec les autres enfants, qui se tenaient loin d’elle parce qu’elle sentait vraiment trop mauvais.  Elle ne se fit jamais d’amis parmi les enfants du village, mais l’école lui permit d’apprendre à lire, à écrire, à compter et, surtout, de voir comment vivaient les Personnes Ordinaires pour pouvoir faire comme elles et passer inaperçue.  Quand elle fut assez grande pour que le fait de vivre toute seule n’attise pas les curiosités, elle déclara que sa pauvre mère-grand était morte, laissa les voisins lui offrir leurs condoléances et continua de vivre tranquille en respectant les lois du royaume et en ayant l’air le plus poli possible quand elle était en public.
Mais pour une Vilaine Sorcière qui n’a pas appris les Bonnes Manières, c’est très difficile d’avoir l’air d’une Personne Ordinaire, et surtout dans ce royaume-là, où tout le monde faisait toujours comme tout le monde.  C’était pour elle un effort énorme, tous les jours, que de s’empêcher de jouer des tours, ou de faire des grimaces, ou de se décrotter le nez en public, ou de dire des gros mots, ou de faire pipi dans les coins.  Bref, elle avait bien de la difficulté à garder ses mauvaises manières pour elle.  Et, à mesure qu’elle vieillissait en retenant ses mauvais penchants, son cœur devenait plus amer que du sirop contre la grippe, plus dur qu’une vieille gomme balloune oubliée depuis l’Halloween de l’année dernière, plus froid que le siège d’une balançoire au mois de janvier.  Petit à petit, elle se mit donc à faire des cauchemars.
Au départ, cela ne l’inquiéta guère.  C’est normal, quand on n’est pas capable d’exprimer une émotion dans la vie de tous les jours, que celle-ci revienne dans nos rêves.  C’est pour cela que c’est important de dire ce qu’on ressent.  Grosspafine, elle, s’empêchait continuellement d’être elle-même.  Alors, la seule façon possible pour elle de laisser sortir les idées de gestes imprévisibles qui lui remplissaient la tête, c’était d’être malcommode en rêve.  Et plus elle devenait vieille, plus elle devenait malcommode.  Alors, ses rêves étaient de plus en plus effroyables.  Bon…  Oui…  Vous allez me dire que, faire des cauchemars, pour quelqu’un d’aussi vilain, ce n’est pas si grave.  Et que c’est même la moindre des choses.  Je suis bien d’accord.  Sauf que Grosspafine, elle, ça l’empêchait de dormir.   Et ça, c’était grave !
Au début de notre histoire, la pauvre Grosspafine n’avait pratiquement pas dormi depuis deux ans.  Oh, elle dormait un peu, bien sûr, sinon elle n’aurait pas eu de mauvais rêves.  Même qu’elle serait peut-être morte de fatigue pour de vrai au bout du compte, si elle n’avait pas dormi du tout.  Mais aussitôt qu’elle trouvait le sommeil, elle rêvait de quelque chose d’abominable et se réveillait en sursaut.  Par exemple, elle rêvait qu’elle faisait bouillir des petits enfants en bouse de vache dans sa marmite (ça c’était la partie « beau rêve »), puis elle se rendait compte que c’était elle que les enfants faisaient bouillir en chantant à tue-tête :
  Tu n’es pas comme les autres !  Tu n’es pas comme les autres !
Alors, évidemment, elle s’éveillait en hurlant.  Et après, elle avait tellement peur qu’elle n’arrivait plus à se rendormir.  Imaginez : une Vilaine Sorcière si malcommode que ses propres vilaines pensées lui faisaient peur !  Même que, certaines nuits, elle ne dormait pas du tout, tant elle craignait de faire des cauchemars.  Je ne fais pas de blagues.  C’en était au point que Grosspafine avait peur d’avoir peur.  Alors elle ne dormait à peu près plus.
Elle se mit à maigrir.  De grands cernes bruns apparurent sous ses yeux.  Sa peau se mit à verdir dangereusement.  Ses joues ridées se creusèrent.  Son nez devint encore plus long et plus poilu.  Elle avait toujours mal à la tête et faisait à son chat de terribles crises de colère.  Elle dépérissait de jour en jour.  Même qu’un bon matin, son vieux chat jaune lui fit remarquer qu’elle n’avait pas du tout l’air dans sa marmite.
  Tu as raison Jaunisse, s’écria-t-elle de sa voix cassée.  Si ça continue, je vais tomber sérieusement malade.  Il faut que je fasse quelque chose.
La nuit venue, elle se rendit en cachette à la Grande Bibliothèque de Magie Noire, qui se trouvait dans une grotte oubliée de tous au fin fond de la Forêt Profonde, et où elle savait qu’une Vilaine Sorcière pouvait trouver toutes les réponses aux questions qu’elle pouvait se poser.  Et là, elle chercha dans l’Encyclopédie des Remèdes Maléfiques un antidote pour ses cauchemars.  Elle dut chercher longtemps, longtemps, longtemps, et en éternuant souvent, car depuis le temps, une bonne épaisseur de poussière s’était déposée sur les volumes.  C’était une énorme encyclopédie qui comptait quatre-vingt-douze volumes et qui ne supportait aucun classement.  Bien sûr, toutes les connaissances y étaient, mais sans aucun ordre.  Tout était mélangé !  Pire : chaque fois qu’on reprenait un volume pour vérifier quelque chose qu’on avait lu un peu plus tôt, le mot avait changé de place !  Vous imaginez ?  Vous vous rappelez, par exemple, avoir vu une belle image à la page 14 du cinquantième volume, et quand vous rouvrez le livre pour la montrer à votre ami, elle n’est plus au même endroit et il faut la chercher à nouveau ! Ce ne fut donc qu’au bout de deux jours et trois nuits que Grosspafine trouva enfin ce qu’elle cherchait.
C’était une recette.  Une recette de confiture.  Pas n’importe quelle recette de confiture, pas de la confiture de fraises ou de framboises, non-non-non-non-non, même pas de la confiture de rats écrasés!  C’était la recette de la confiture de rêves.

Elle se dépêcha de recopier la recette sur une feuille de papier avant que le livre ne décide de la changer de place, et s’en retourna chez elle en ricanant, faisant résonner dans la nuit son horrible voix grinçante.

dimanche 23 mars 2014

Monsieur Julot — Chapitre I



Maintenant, le quai paraît désert.  Il vente.  Dans l’ombre du grand paquebot, les marins et les débardeurs s’affairent encore.  Non loin du petit garçon, un pompon rouge, son béret à la main, conte fleurette à une passante.  Depuis l’instant où on lui a dit d’attendre ici, depuis qu’il se trouve ici, debout près de la longue boîte de bois, la foule s’est dispersée.  Il a vu se retrouver les êtres chers, entendu les cris de joie de ceux qui se croyaient perdus, les bouches s’ouvrant sur les mots qui réchauffent.  Plus personne n’attend autour de lui.  Il frissonne, tout seul, debout près de la longue boîte de bois.

— Henri !

Il sursaute.  Se tourne.  Une femme grande, mince et sèche, sévèrement engoncée dans un long manteau de laine, vient vers lui.  Tante Marie-Louise.  Ce doit être tante Marie-Louise.  Elle saisit son menton et l’examine.

— Bon.  Au moins, tu n’es pas trop malpropre et tu n’as pas l’air malade.  Où est ton bagage ?

L’enfant fait un geste pour montrer le sac de tapisserie qu’il tient à la main et qui contient tout ce qu’il possède : un vieux lapin de chiffon, deux mouchoirs, une chemise de nuit et le portrait à l’huile d’une jeune femme.  Puis il pose son autre main sur la longue boîte de bois.

— Qu’est-ce que…  Oh.  Bon.  Viens, on enverra quelqu’un chercher ça.  Mais viens donc !

Le petit garçon ne bouge pas.  Il ne veut pas venir avec cette femme rêche.  Il veut rester ici, avec la longue boîte de bois.  Il voudrait retourner sur le grand bateau, retourner chez lui, retourner avant.  De ses yeux bleus coulent des larmes de défi.  La femme s’impatiente.

— Henri, sois raisonnable.  On n’a pas toute la journée.  Allez, on gèle, grouille.

Pour toute réponse, l’enfant se colle contre la longue boîte de bois.  Le froid et la frayeur le font grelotter.

— Ça suffit, mon bonhomme, elle est morte ta mère, ça la ramènera pas tes simagrées, quand même que tu rentrerais dans le cercueil avec elle.  Viens-t’en, on va envoyer quelqu’un le chercher.

La femme le prend par le bras, tire, grogne.  Le petit garçon s’accroche au cercueil de sa mère, au souvenir de sa mère dont les traits se rappellent vaguement sur le visage de sa tante, mais comme desséchés par l’amertume.  Sanglotant, il finit par se laisser arracher de la longue boîte de bois.   Il va vers la Haute-Ville avec l’inconnue qui le traîne par une main tandis que, de l’autre, il tient son petit sac de tapisserie de toutes ses forces, en ravalant ses larmes.